RE : Pour un Clean(tech) Industrial Deal ambitieux - créer des marchés pour libérer les investissements
Madame la Présidente Von der Leyen, Madame la Vice-Présidente Exécutive Ribera, Monsieur le Vice-Président Exécutif Séjourné, Monsieur le Commissaire Hoekstra,
Nous, soussignés, 102 start-ups, scale-ups, investisseurs et écosystèmes cleantech de toute l'Europe, vous écrivons pour exprimer notre soutien à un Clean Industrial Deal fort et ambitieux.
L'Union européenne (UE) est confrontée à une véritable tempête avec un environnement géopolitique dangereux, des coûts énergétiques structurellement plus élevés que ceux de ses concurrents économiques et des menaces imminentes de guerres physiques et commerciales. Dans ces moments, il est facile de perdre de vue nos forces et nos atouts : une main-d'œuvre parmi les plus qualifiées au monde, une recherche et une innovation fortes - en particulier dans les cleantech, une base industrielle solide spécialisée dans la fabrication de produits de haute qualité et potentiellement le plus grand – pourtant incomplet - marché unique au monde.
2024 a été l'année du diagnostic avec les rapports Draghi et Letta. 2025 doit être l'année d'une action audacieuse et décisive pour faire tout ce qui est nécessaire pour la décarbonation compétitive de l'UE. Tout l'arsenal des outils politiques doit être orienté vers cet objectif commun partagé : créer une analyse de rentabilisation convaincante, un « business case » attractif, en faveur de la décarbonation compétitive.
Le succès du Clean Industrial Deal repose sur sa capacité à envoyer deux signaux de marché décisifs aux industries cleantech du futur qui passent à l’échelle (« scale-up ») et aux industries traditionnelles dont le chemin vers une décarbonation compétitive repose sur l'intégration de solutions cleantech de pointe. Premièrement, une forte poussée de la demande pour les cleantech. Deuxièmement, un accent stratégique sur la réduction du risque de la part des pouvoirs publics, qui servira de signal pour mobiliser une partie des 38 000 milliards d'euros de capitaux privés européens et d'investisseurs internationaux vers les cleantech.
Créer une poussée de la demande de « cleantech industrielles » requiert quatre piliers clés qui doivent être mis en œuvre de manière autant coordonnée que possible au niveau de l'UE afin de créer un passage à l’échelle, en s'appuyant sur un renforcement accru du marché unique. Premièrement, plusieurs secteurs industriels stratégiques essentiels à la compétitivité et à la résilience de l'Europe sur le long terme - l'automobile, l'acier, l'aluminium, les produits chimiques - sont confrontés à des vents de face importants et bénéficieront probablement d'un soutien public significatif. S'assurer que ce soutien stimule l'utilisation des solutions cleantech les plus avancées dans leurs processus, de préférence fabriquées en Europe, offre une occasion unique de créer un signal de demande fort pour les cleantech européennes. Cela nécessitera d'autoriser, en vertu des règles de l'UE sur les aides d'État, dans certains cas, un soutien pour des dépenses d'investissement initiales et des dépenses opérationnelles initiales plus élevées afin de soutenir le « business case ». Deuxièmement, le système d'échange de quotas d'émission de l'UE (ETS) et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) constituent un signal de demande essentiel pour les cleantech. La dilution ou le retardement de ce signal à travers une instabilité réglementaire ne ferait que retarder les décisions finales d'investissements cruciaux ou saper les « business cases » existants. Troisièmement, créer des marchés européens de pointe pour des technologies propres spécifiques grâce à des objectifs et des mandats propres à chaque technologie. Ceux-ci doivent être combinés avec l'inclusion de critères de durabilité et de résilience dans les règles de passation des marchés publics afin de stimuler la demande à grande échelle pour les cleantech européennes. Enfin, pendant que les cleantech passent à l’échelle et que les industries traditionnelles se transforment, nous avons besoin d'une politique commerciale plus affirmée, rapide et décisive pour corriger les pratiques déloyales des juridictions concurrentes qui créent des conditions de concurrence inégales, afin de garantir que la demande européenne génère la prospérité européenne.
Le déploiement de nombreuses solutions cleantech dépend de l'existence d'une électricité propre abondante et abordable. Ces signaux de la demande ne fonctionneront que si nous parvenons à augmenter considérablement les investissements dans le réseau, à stocker massivement l'énergie sur le long terme et à fournir un soutien ciblé pour atténuer la volatilité des prix de l'électricité.
L'augmentation de la demande doit être soutenue par des mécanismes de financement public plus ciblés et plus efficaces pour dé-risquer les cleantech. Tout d'abord, nous devons garantir l’ampleur et l'accessibilité des programmes de financement de l'UE. Cela nécessite un financement dédié aux Cleantech, tenant compte des défis spécifiques à chaque chaîne de valeur et à chaque technologie, qui soit suffisamment important pour faire baisser les risques liés à la phase tardive d'expansion des cleantech lorsque les besoins de financement deviennent beaucoup plus importants. Deuxièmement, les instruments de financement de l'UE et de la Banque européenne d’investissement (BEI) doivent, dans la mesure du possible, chercher à réduire les risques et à attirer des capitaux privés à plus grande échelle. Par exemple, les garanties et contre-garanties publiques (telles que celles prévues dans le cadre du paquet éolien) contribuent à débloquer des financements privés et des fonds de roulement pour la fabrication de cleantech, tout en étant efficaces d'un point de vue fiscal. L'élargissement considérable de la portée et de l'échelle de ces outils constituerait un signal fort pour les capitaux privés. Troisièmement, l’ETS et le CBAM devraient générer une source importante de recettes fiscales pour les États membres au cours des prochaines années. L'UE et les États membres devraient orienter ces recettes vers les cleantech européennes de façon coordonnée au niveau de l'UE. Enfin, l'UE et la BEI devraient donner la priorité à la création de véhicules de financement mixtes regroupant des capitaux d'investisseurs institutionnels à plus grande échelle afin de débloquer des instruments de crédit essentiels au passage à l’échelle des industries.
En conclusion, nous appelons à une augmentation sans précédent de la demande, combinée à un financement public ciblé qui améliorera considérablement le business case des cleantech en phase de scale-up et des industries en transition, en débloquant une partie des milliers de milliards de richesses privées en Europe et en réduisant le financement public global nécessaire dans une période de contraintes fiscales pour de nombreux gouvernements. Cette démarche ne peut être couronnée de succès que si elle s'appuie sur un cadre stable et prévisible de tarification du carbone.
L'incertitude géopolitique et économique de 2024 a entraîné un ralentissement du volume des investissements dans les cleantech au sein de l'UE. Par conséquent, le besoin urgent d'actions décisives et audacieuses ne peut pas être sous-estimé. Nous avons des réussites européennes comme l'aciériste vert Stegra (Suède), le fabricant d'électrolyseurs Sunfire (Allemagne) ou le développeur de batteries Verkor (France), qui prouvent que l'UE est capable de faire grandir les nouvelles industries de demain. Mais nous avons besoin de beaucoup plus de Stegra et de Verkor. L'enjeu n'est rien de moins que la prospérité future des citoyens européens. Nous sommes prêts à travailler avec vous pour mettre en œuvre ce plan ambitieux pour l'Europe.
Téléchargez la lettre ouverte Clean Industrial Deal ambitieux.