La France, nouveau leader européen de la cleantech – Briefing annuel 2023

2023 marque une année record pour l’investissement cleantech en France avec €3,2 milliards investis en capital-risque dans le secteur, dépassant les €2,4 milliards investis en 2022 et les €1,7 milliards investis en 2021. La dynamique positive de l’innovation cleantech française continue ainsi d’augmenter de manière constante depuis 2019, traversant les crises et les situations économiques difficiles. Cette tendance s’observe autant en valeur qu’en volume, avec 140 investissements cleantech comptabilisés en 2023, établissant un nouveau record par rapport aux 99 enregistrés en 2022.

Cette augmentation impressionnante de l’investissement en capital-risque dans la cleantech en France est d’autant plus remarquable qu’elle s’est faite dans un contexte économique mondial et national difficile : l’investissement cleantech a diminué assez nettement en Allemagne comme au Royaume-Uni, ainsi qu’au niveau mondial, et l’investissement en capital-risque dans son ensemble a diminué en France de 3%. Au niveau européen, l’investissement cleantech est resté constant. Ainsi, la France devance pour la première fois ses deux voisins en investissements cleantech.

Au niveau européen, la France prend de plus en plus une position de leader : en 2023, alors que l’investissement cleantech est resté constant au niveau de l’Union, il a augmenté en France. En nombre d’investissements, la France est deuxième après l’Allemagne. En montants investis, la France dépasse l’Allemagne pour la première fois depuis 2018, et prend la tête des pays membres de l’Union Européenne. Ce chiffre record est en partie dû à la levée historique de Verkor de €850 millions en capital-risque.

Verkor réalise une levée de fonds historique

La levée en Série C par Verkor de €850 millions visant à accélérer la construction de la première Gigafactory de production de cellules de batteries lithium-ion bas-carbone et haute performance à Dunkerque s’est imposée comme le plus gros investissement de l’année 2023. Cette levée est d’autant plus impressionnante qu’elle est accompagnée d’une subvention de l’Etat et d’une dette levée auprès de la Banque Européenne d’Investissement, amenant la somme totale à €2 milliards.

Source : Verkor

Le principal investisseur de cette levée est Macquarie Asset Management, accompagné de Meridiam, Renault Group, EQT Ventures, EIT InnoEnergy, Sibanye-Stillwater, le fonds SPI de Bpifrance, Crédit Agricole Assurances, le Fonds Stratégique de Participation, CMA GGM et Airbridge Investments. La subvention de €650 millions a été rendue possible par l’adaptation des règles de subventions au niveau européen dans six domaines clés dont les batteries.

Ce type de subvention, ainsi que d’autres instruments comme les crédits d’impôts de production de technologies de décarbonation reçoivent l’approbation au niveau européen. L’évolution de la politique européenne en la matière est le signe de la prise de conscience de l’importance d’une politique d’investissement ambitieuse dans la réindustrialisation verte.

Les grandes tendances de l’investissement cleantech en France en 2023

La régionalisation de l’investissement cleantech a marqué l’année, avec l’émergence de trois pôles principaux : l’Ile-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France. Alors que l’investissement cleantech était concentré en grande majorité en Ile-de-France les années précédentes, ce nouvel équilibre confirme le fait que la réindustrialisation verte sera nécessairement un enjeu régional en France. Des pôles spécialisés émergent depuis plusieurs années tels que les batteries dans les Hauts-de-France, la chimie et l’électronique en Auvergne-Rhône-Alpes.

La levée de fonds de Verkor a été comptabilisée pour la région Auvergne-Rhône-Alpes bien qu’une large partie de cet investissement soit fléchée vers la construction de la gigafactory installée dans les Hauts-de-France.

L’industrialisation et le passage à l’échelle de l’innovation cleantech en France se font sentir dans les données d’investissement. En effet, la taille des plus grandes levées de fonds a nettement augmenté par rapport aux années précédentes - elles-mêmes nettement supérieures comparées à la fin des années 2010 : entre 2021 et 2023, la moyenne des levées de fonds en croissance est passé de €17,8 millions à €38,5 millions (€31 millions en excluant la levée historique de Verkor). Ce bond de l’investissement en capital croissance est notable : il est le signe de l’accélération des financements de passage à l’échelle dont l’écosystème cleantech a besoin afin de permettre à la France de se réindustrialiser.

Pour plus d’informations sur le passage à l’échelle des cleantech, consultez notre rapport.  


De nouvelles subventions au niveau national comme européen pour soutenir l’innovation cleantech sont mises en place. En 2023, Verkor a bénéficié de €650 millions de subvention de l’Etat pour la construction de sa gigafactory dans les Hauts-de-France. De même, le 8 janvier, la Commission Européenne a approuvé un régime d’aides de l’Etat français à hauteur de €2,9 milliards prenant la forme d’un crédit d’impôt décidé dans le cadre de la Loi sur l’Industrie verte adoptée en octobre dernier, pour les entreprises portant des projets d’investissement dans la production de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes, de batteries et de pompes à chaleur, ainsi que la production de composants nécessaires à la production de ces technologies, en France. Ces nouveaux régimes de subventions contribuent à dérisquer ces secteurs cruciaux de la transition énergétique, permettant d’attirer plus d’investissements privés. Ils sont rendus possibles entre autres par l’amendement des règles de subventions nationales dans le cadre de l’encadrement temporaire de crise et de transition pris à la suite de l’invasion de l’Ukraine et récemment prolongé jusqu’à fin 2025 pour ses provisions concernant le déploiement de cleantech. Ces règles font débat au sein de l’Union Européenne car elles sont perçues comme avantageant les pays ayant les capacités économiques de proposer d’importantes subventions par rapport aux autres Etats Membres.


Actualités des fonds d’investissement cleantech

Aster a acquis la majorité du portefeuille de Total Energies Ventures, le CVC de Total Energies.

HCVC a annoncé le closing d’un fonds de €75 millions destiné à réaliser une quarantaine d’investissements sur quatre ans, avec des tickets de €250 000 à €2,5 millions dans l’énergie propre, la robotique, la biotech et la défense.

Supernova Invest a annoncé le lancement d’un fonds de €60 millions avec le Crédit Agricole, avec un objectif de lever €100 millions pour investir dans l’innovation en agritech en France et en Europe.

Supernova Invest a également annoncé le lancement d’un fonds de €75 millions avec un objectif de €100 millions pour investir dans des start-ups deeptech européennes, avec des tickets de €1 à €3 millions. Le Crédit Agricole, le CEA, bioMérieux, Orano et Vinci figurent parmi les investisseurs.


Néolithe lève €60 millions pour poursuivre son industrialisation

Le 6 décembre 2023, Néolithe a annoncé avoir levé €60 millions pour développer ses premières usines de traitement des déchets par fossilisation accélérée. Cette levée a été réalisée auprès d’Otium Capital, de Crédit Mutuel Impact, de Tivoli Capital et de RGreen Invest. La start-up industrielle basée à Angers propose une technologie alternative aux technologies historiques de traitements des déchets comme l’enfouissement ou l’incinération : la fossilisation accélérée des déchets permet de réduire les émissions de carbone liées au traitement des déchets et de séquestrer 420 kg CO2e par tonne de déchets traitée selon les estimations.

Source : Néolithe


Néolithe veut installer des fossilisateurs sur tout le territoire, avec la capacité de gérer 100 000 tonnes de déchets par an et de redistribuer le produit de la fossilisation, des granulats, à des entreprises locales de BTP.

Les trois plus gros investissements de l’année, représentant 40% de l’investissement total, ont été réalisés dans les secteurs des véhicules électriques : Verkor et sa gigafactory mentionnée plus haut, DRIVECO qui produit, déploie et opère des stations de recharge pour véhicules électriques, et Ampère, entité issue de Renault dédiée à la conception, production et commercialisation de véhicules électriques.


L’année 2023 a vu des avancées politiques importantes pour la cleantech, tant au niveau français qu’au niveau européen

En novembre 2023, le Président de la République fixait son cap de la planification écologique avec quelques mesures notables pour la cleantech : la production annoncée d’1 million de pompes à chaleur sur le territoire d’ici 2027, 15% de voitures électriques en circulation en 2030, la production d’1 million de voitures électriques d’ici 2027, la fermeture des dernières centrales à charbon d’ici 2027, un grand inventaire des ressources minières de la France, une transformation agroécologique avec un objectif zéro emballage plastique inutile d’ici 2025, et l’accélération sur l’industrie verte et les technologies de rupture, et notamment sur l’hydrogène et la séquestration de carbone. Ces annonces sont accompagnées par le lancement de la régionalisation de la planification écologique, notamment dans le cadre de l’organisation de COPs régionales.

La loi sur l’Industrie Verte, adoptée le 11 octobre, a pour objectif d’encourager le développement de grandes technologies de décarbonation comme l’éolien, le photovoltaïque, les pompes à chaleur, les batteries et l’hydrogène décarboné made in France. Parmi les mesures marquantes prises par cette loi, nous retenons la création du crédit d’impôt « investissement industrie verte » visant à apporter une aide à l’investissement productif dans les usines de production des technologies considérées comme stratégiques par l’Etat : l’énergie solaire, l’éolien, les pompes à chaleur et les batteries. Un deuxième volet de cette loi a été annoncé par le gouvernement pour 2024.

La Loi de Programmation des Finances Publiques définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques de 2023 à 2027 a été adoptée avec un amendement obligeant le gouvernement à soumettre tous les ans au Parlement une stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale.

La Loi de Finances 2024 a marqué une augmentation de €7 milliards du budget alloué à la transition écologique, portant l’enveloppe totale à €40 milliards.

La présentation de Loi de Programmation pour l’Energie et le Climat (LPEC), devant fixer les objectifs énergétiques du pays, a été repoussée à 2024, probablement sous la forme d’une loi sur la souveraineté énergétique portée par Bercy, alors que sont également attendues la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC). Sous sa nouvelle forme, la LPEC devrait se voir privée d’objectifs chiffrés sur les énergies renouvelables.

Le gouvernement a annoncé le lancement de deux stratégies en lien avec la décarbonation : une concernant le captage, le stockage et l’utilisation du CO2 (CCUS) et une concernant l’hydrogène décarboné.
Le gouvernement a également poursuivi son ambition de signer des contrats de décarbonation avec les 50 sites les plus polluants du territoire, arrivant à 32 contrats signés à la fin de l’année. L’intention de ces contrats semble être la bonne mais le processus manque de transparence et il est donc difficile d’en saisir l’ambition et la cohérence.

Au niveau européen, la cleantech est devenue une priorité politique illustrée par le discours de la présidente de la Commission Européenne sur le sujet en début d’année, appelant à faire de l’Europe « the home of cleantech ». Des avancées significatives ont été faites sur de nombreux dossiers, notamment celui du prix du carbone, la régulation du méthane et la performance énergétique des bâtiments.
Nous retenons parmi les nombreux paquets législatifs et les nombreuses annonces le lancement du Green Deal Industrial Plan et du Net Zero Industry Act, la stratégie industrielle du Green Deal en réponse à l’Inflation Reduction Act américain, devant simplifier le cadre réglementaire pour les cleantech stratégiques, accélérer l’accès à l’investissement, utiliser la demande publique verte, investir dans les compétences nécessaires et poursuivre des accords commerciaux avec les partenaires de l’UE pour assurer les chaînes de valeur importantes.

La Commission Européenne a également présenté le Critical Raw Materials Act pour assurer l’accès des entreprises européennes aux matériaux critiques pour la transition énergétique.
Néanmoins, l’UE peine à apporter le financement nécessaire pour ses ambitions cleantech. On observe plutôt des subventions importantes au niveau national qu’une réelle politique ambitieuse de financement européen de la cleantech. Ces subventions obtiennent toutefois l’aval nécessaire au niveau européen, à l’image du paquet de subventions françaises à hauteur de €2,9 milliards approuvés début janvier 2024.
Les institutions européennes arrivent à la clôture du Green Deal porté par la Commission sortante : la prochaine Commission et les futurs députés européens devront donc mettre en œuvre les mesures décidées et organiser leur financement. Cleantech for Europe a publié en février 2024 un rapport au sujet de ce nécessaire plan d’investissement cleantech, disponible ici : https://www.cleantechforeurope.com/cleantech-investment-plan.